Sénèque et Gaël face au Temps
« Oui, c’est cela, mon cher Lucilius, revendique la possession de toi-même. Ton temps, jusqu’à présent, on te le prenait, on te le dérobait, il t’échappait. Récupère-le, et prends-en soin. Et, à bien y regarder, l’essentiel de la vie s’écoule à mal faire, une bonne partie à ne rien faire, toute la vie à faire autre chose que ce qu’il faudrait faire… » – Sénèque, Apprendre à vivre, Lettres à Lucilius.
Le temps, nous le gérons au fond que très partiellement au cours de notre vie. Nous le remplissons le plus souvent de minuscules trahisons qui nous entrainent loin des projets et des objectifs dont nous rêvons. « Les hommes font leur histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font » disait Raymond Aron.
Nombreux d’entre nous ont aujourd’hui l’impression de subir la pression du temps, la pression sur leur temps, et, le plus souvent, de se faire voler du temps.
Le passé n’est plus. Le futur n’est pas. Et le présent dans lequel se matérialise l’action, s’envole, nous échappe…
La juste compréhension du temps dépasse à l’évidence le cadre strict de l’entreprise, de l’activité, du professionnel et de la performance.
Elle concerne la vie.
Faire du Temps un Allié…
Faut-il alors structurer le temps, le « mécaniser », ou peut-être tout simplement le quitter, pour mieux se l’approprier, s’en faire un allié, un compagnon de route d’humeur égale, quels que soient les obstacles rencontrés, et le temps qu’il fait ?
Car nous pouvons avoir souvent l’impression tenace que le temps se rit de nos plans stratégiques, de nos décisions d’organisation, de nos plannings méticuleux.
Nous parlons souvent d’emploi du temps, mais le temps ne « s’emploie pas ».
Il ne rentre pas dans des cases, des horaires, une fiche de poste. Il est libre, autonome, indépendant, et le restera.
Peut-être devrions nous alors commencer par l’aimer pour qu’il cesse de nous malmener. L’apprivoiser plus que se l’approprier, le comprendre plus que lui imposer, pour qu’il reste un peu, passe moins vite…
Car le coquin, mal traité, peut se faire dictateur, et nous imposer ces règles sans concertation ni ménagement.
Le Secret du Temps…
Nous l’avons compris, le secret, si secret il y a, consiste peut-être alors à non pas maitriser le temps, il n’aura jamais de maître, mais à mieux le vivre.
Le rapport au temps se fait alors initiatique, et nous livre des secrets que l’homme « précipité » ne voit pas.
Le chemin est tortueux, la porte étroite. Certes.
Ses secrets sont bien gardés. Mais nullement inviolables.
Le plus important d’entre eux est peut-être que le temps n’est pas défini par sa mesure mais par son contenu.
Oui, il est possible de briser le carcan du temps, mais il faut entrer dans son contenu.
Dans la conscience de l’action, de son impact, de son utilité. À se concentrer sur ce que l’on fait, y apporter du soin, de la conscience du geste, le temps se fait allié.
Discret, silencieux, presque oublié…
Mettre du contenu dans notre temps, c’est alors permettre que chaque minute se fasse siècle. Nous disons souvent que le temps s’accélère, mais force est de constater qu’il se ralentit alors à la mesure de l’expérience de la conscience vécue.
Le temps alors dont nous disposons chaque jour se fait élastique, fluctuant, adaptable, long…
Sitôt que le contenu manque, que la conscience s’échappe, le temps n’est plus que mesuré. Contenant. Vide. Court.
Le manque de Temps et la Performance…
On fait, mais c’est comme si on faisait semblant. On agit, mais pas pour de vrai.
Sans conscience, le temps consommé n’est plus alors que du temps consumé.
Il est deux sortes d’athlètes disait Fernand Heurtebize, entraineur légendaire de Stéphane Tigana : Ceux qui viennent à l’entrainement, et ceux qui viennent s’entrainer.
Nous avons souvent constaté qu’il y avait deux sortes de comportement liés au temps. Ceux qui semblent toujours en avoir, et ceux qui n’en ont jamais.
Et d’évidence, le manque de temps est rarement un facteur de performance.
Cependant, le temps, le rapport au temps, est différent pour chacun. Et il est complexe, nécessitant des choix, et, en finalité, un mode de vie.
Peut-être est -il raisonnable alors de cultiver sur ce sujet une forme d’humilité, voire d’ignorance…
Ainsi, si nous n’avons pas de vérités à vous annoncer, nous avions, d’évidence, des erreurs à vous dire.
Les éviter est peut-être le premier pas sur le chemin d’un rapport au temps décidé. Et si Réussir, c’était déjà ne pas échouer ?…